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Une fois que les acteurs ont posé un nom et parfois aussi un nombre sur ceux qui se déplacent, ont désigné plus ou moins explicitement des responsables à qui il incombe d’agir, il s’agit maintenant de prêter attention à la manière pour ce faire, c’est-à-dire aux solutions qui sont proposées par les acteurs.

 

Pourquoi des solutions sont-elles nécessaires ?

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Ces solutions vont de pair avec la manière dont le problème est perçu, et tout particulièrement l’ampleur qui lui est attribué. Pour l’ensemble des acteurs, puisque le problème existe, la question de savoir s’il faut agir ne se pose pas et se présente comme une évidence.

En effet, comme nous l’avons évoqué dans la description de notre enquête, les déplacements environnementaux relèvent de problématiques qui touchent à la fois au domaine de la protection de l’environnement et du droit du climat, et de la protection humanitaire et donc des droits de l’Homme. Agir relève donc d’une nécessité si l’on considère l’urgence climatique et environnementale qui est révélée par ces migrations, ainsi que ses conséquences sur les individus eux-mêmes. Par ailleurs, même si les acteurs ne s’accordent pas sur une quantification claire du phénomène, ils sont d’accord sur la teneur mondiale, et relativement massive de celui-ci. Or, des mouvements massifs de population pourraient être porteurs d’instabilité, et d’insécurité s’ils ne sont pas pris en charge. C’est ce souci d’éviter une situation trop chaotique et potentiellement porteuse de tensions qui a par exemple mené à la Convention for Persons Displaced by Climate Change. Ainsi, il est exclu pour la totalité des acteurs de ne pas s’attaquer d’une manière ou d’une autre au phénomène, à ses conséquences présentes et futures sur les individus eux-mêmes, sur l’environnement, sur les Etats et sur les relations entre les Etats.

 

Quels sont les principaux domaines d’action invoquées ?

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Une première ligne de fracture et qui sépare clairement les acteurs est la proposition de la création d’un droit spécifique, ex-nihilo, qui s’oppose à la préconisation de se cantonner à l’utilisation et à l’élargissement d’outils financiers ou juridiques déjà existants.

Par ailleurs, les solutions avancées peuvent concerner les déplacements environnementaux à différents stades, c’est-à-dire en amont du déplacement, pendant le déplacement et en aval de celui-ci. Ces solutions recouvrent également plusieurs champs d’action, et nous avons remarqué que peu nombreux sont les acteurs qui ne préconisent pas, du moins ne considèrent pas, à la fois des mesures d’adaptation, donc de prévention, et des mesures de protection juridiques pour davantage protéger les personnes déplacées. Il est vrai cependant que les acteurs qui proposent la création d’un statut particulier à ces déplacés se concentrent tout particulièrement sur l’aspect juridique, de même que d’autres, dont le champ d’action est circonscrit - comme par exemple la Banque Mondiale, se concentreront sur des propositions plus pragmatiques de mesures d’adaptation.

Cela justifie que nous ayons privilégier une matrice en deux axes afin de rendre compte au mieux de la manière dont les acteurs se positionnent concernant ce noeud de la controverse.

 

Lorsqu’on considère le déplacement en amont, c’est-à-dire les raisons qui poussent au départ et les dynamiques du mode de décision des individus, qui peut être mûrie ou au contraire contrainte car face au fait accompli d’un environnement trop dégradé pour y subsister, on trouve presque exclusivement les solutions dites “d’adaptation”. Pour reprendre les termes du GIEC, l’adaptation désigne “la démarche d'ajustement au climat actuel ou à venir, ainsi qu’à ses conséquences. Il s'agit à la fois de réduire les effets préjudiciables du changement climatique tout en exploitant les effets bénéfiques”.

Elles désignent des stratégies, des entreprises, des actions qui ont pour objectif de réduire la vulnérabilité des populations aux dégradations. Il s’agit donc de s’adapter, d’ajuster son environnement afin de pouvoir continuer à y mener une existence comparable. Ces mesures se retrouvent dans les politiques publiques d’aide au développement, ou encore d’aménagement du territoire. Par exemple, elle peut constituer en des investissements tels que la construction de digues, la surrévélation de barrages, le renforcement des bâtiments. Son coût est élevé et implique souvent l’usage de financements internationaux. Il peut s’agir de fonds établis sous l’égide de l’ONU dans le cadre de la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements climatiques (CCNUCC), et gérés par l’organisation financière indépendante du Fonds pour l’Environnement Mondial, qui est aujourd’hui le plus bailleur de fond mondial finançant des projets visant à améliorer l’environnement; de l’Aide Publique au Développement des Etats; de financements venant d’institutions financières internationales, comme la Banque Mondiale ou le Fonds Monétaire International; ou encore provenant d’ONG environnementales ou droits-de-l’hommistes. Dans certains pays, ils sont financés par une politique fiscale adaptée, ou par des fonds du secteur privé.

 

Si la prévention a échoué, les individus touchés par des dégradations importantes de leur environnement et de leur lieu de vie peuvent faire le choix, ou se retrouver contraints à migrer. Dans ce cas, ces personnes se retrouvent en position de vulnérabilité et doivent, pour la plupart des acteurs, devoir trouver assistance et protection. C’est notamment une nécessité invoquée par les principaux concernés. Dans un discours donné à l’ONU en 2012, le président des Kiribati, îles d’Océanie menacées de submersion par la montée des eaux, interpellait la communauté internationale sur le danger guettant son Etat, évoquant par la même occasion l’imminence de déplacements qu’il appellait à encadrer : “While we are taking adaptation measures to ensure that Kiribati remains habitable for as long as possible, we are also preparing for a future where our islands may no longer be able top sustain our population (...) We want our people to have the option to migrate with dignity should the time come that migration is unavoidable”. “Migrer avec dignité” suppose ainsi qu’en situation de vulnérabilité, alors que les ressortissants des Kiribati se trouveront sans doute en situation d’apatridie du fait de l’engloutissement de leur île, leurs droits fondamentaux devront être respectés.
L’apatridie constitue par ailleurs un des points de complication majeurs concernant une prise en charge juridique, et mérite qu’on s’y consacre quelques lignes. Au regard des principes internationaux, il est énoncé à l’article 15 de la Déclaration universelle des droits de l’homme “tout individu a droit à une nationalité”. Il faut rappeler que l’apatridie, qui est perçue comme une “anomalie” au regard du principe fondateur du droit et des relations internationales qu’est la nationalité, est une situation que la communauté internationale cherche à empêcher, voire à éradiquer, depuis plusieurs décennies. Le droit international, et ici le domaine privilégié le plus susceptible d’apporter une réponse à l’apatridie soit le droit des successions d’Etats, ne prévoit en effet pas de disparition pure et simple d’un Etat. Rappelons qu’un Etat est traditionnellement défini par l’existence d’un “territoire” délimité par des “frontières”, sur lequel vit une “population”, le tout gouverné par une autorité politique. Ce sont ces critères qui lui garantissent une souveraineté. Les états insulaires qui disparaîtraient du fait de la montée du niveau des mers, perdraient au moins deux de ces attributs (le territoire et ses frontières). Le sort de sa population reste une énigme, notamment face aux questions de la nationalité et de la souveraineté de l’Etat disparu et de son autorité politique. Cet Etat conservera t-il ses compétences exclusives, notamment sur ses ressortissants ? La nation se perpétuera t-elle ? Quelle mémoire collective survivra ? Quid du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? La population concernée pourra t-elle conserver son indépendance si elle le désire ? Peut-on dire qu’une population sans Etat demeure un peuple ? Une disparition d’Etat correspond t-elle à une déchéance de nationalité ? Comment garantir une base collective à un éventuel changement de nationalité ? Alors que ces disparitions potentielles d’Etats constituent une forme d’inégalité des pays face aux changements environnementaux et climatiques, ne serait-ce que vis à vis de la transmission aux générations futures qui trouve son importance dans les politiques de développement.  

C’est dans ce contexte, mais sans forcément évoquer les cas d’apatridie, que la nécessité d’une protection juridique est invoquée. Cette protection peut relever des droits de l’homme, des droits des déplacés internes, du droit international humanitaire, du droit de la protection de la personne en cas de catastrophes.

 

Les acteurs qui se situent au bas de la matrice ont pour point commun de ne pas considérer la création d’un droit ex-nihilo comme une solution réaliste, ou adéquate au problème. Ils préconisent plutôt de mettre à profit des outils financiers et juridiques existants, de les adapter au cas particuliers des migrations environnementales et ainsi d’en élargir les compétences ou le champs d’action afin qu’ils puissent prendre en compte cette problématique. Ces outils sont divers et nombreux. A titre d’exemples, on peut citer le Fonds Verts pour le Climat; les fonds d’adaptation de la CCNUCC; les principes directeurs relatifs aux déplacements des personnes internes de leur propre pays de l’ONU de 1998; certaines politiques européennes telles que les opérations d’aide humanitaire ou l’Approche Globale de la question des Migrations et de la Mobilité (AGMM); les politiques de visas des Etats et les accords bilatéraux existants; ou encore des initiatives interétatiques telles que l’Initiative Nansen.

 

Enfin, lorsque certains acteurs constatent que les droits fondamentaux de la personnes ne sont pas garantis par les mécanismes juridiques existants, notamment ceux que nous avons évoqués plus haut, la création d’un droit ex-nihilo spécifique ou non au cas des déplacés environnementaux, mais qui inclurait ainsi la dimension des droits de l’homme dans l’adaptation et la protection aux changements environnementaux, peut être invoqué. C’est le cas des acteurs se situant dans le haut de la matrice. Ce droit recouvre la plupart du temps la forme d’une convention internationale et qui peut même donner lieu (comme c’est le cas de la Convention for Persons Displaced by Climate Change) à une organisation à part entière dotée de plusieurs organes. Cette convention peut être spécifique au cas des déplacés environnementaux, ou aborder la question des déplacements humains dans leur ensemble, comme le fait la proposition de Convention de l’université de Columbia. Enfin, il peut dans de plus rares cas s’agir d’un accord régional, comme par exemple la Convention dite de Kampala, ou encore de la création d’un statut spécifique, sans nécessairement l’élaboration d’une convention nouvelle mais qui pourrait passer par l’amendement de la Convention de Genève et des Protocoles.  

tableau
Convention de Kampala
Michel Prieur
Catherine Wihtol de Wenden
Convention for displaced
persons and climate change
Model International Mobility Convention
France Terre d'Asile
Lester Brown
Walter Kaelin
Gilliane
Le Gallic
La Banque mondiale
Norman Myers
Le Haut Comissariat des Réfugiés
François Gemmene
Nicole
de Moor
Christel Cournil
Programme des Nations unies pour l'Environnement
Dina Ionesco
L'Union européenne
La Cimade
Jane
Mc Adam
Alex
Randall
Les Amis
de la Terre
Collectif Argos
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