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Définitions et mobilisations
d'un phénomène migratoire

Déplacés

par le climat ?

Description de la controverse

Description

de la controverse

Pour désigner les personnes déplacées du fait du changement climatique, la majorité des médias utilisent le terme de “réfugiés climatiques”. Or, de nombreux acteurs, parmi lesquels des universitaires spécialistes des migrations, de l’environnement, des droits de l’Homme, des organisations internationales ou encore des ONG, rejettent l’utilisation de ce terme en disant qu’il n’a aucun fondement théorique ni juridique au regard de la Convention de Genève de 1951, qui définit le statut de “réfugié”. Ces acteurs utilisent donc des termes alternatifs plus aptes, selon eux, à saisir cette réalité, notamment “migrants environnementaux”, “déplacés environnementaux” ou encore “mouvements liés au changement climatique”. Puisque chacun de ces termes renvoie à des réalités différentes, aucun ne fait consensus.

 

Cette controverse autour de la dénomination des personnes déplacées à cause du changement climatique fait que les acteurs n’étudient ou ne prennent pas en charge les mêmes personnes. De là, les quantifications présentes et futures de l’ampleur de ce phénomène divergent selon les acteurs, et varient entre 25 millions et 250 millions d’ici 2050. La question de la dénomination amène aussi celle de la responsabilité puisque, par exemple,
le terme “réfugié” induit une obligation de non-refoulement de la part des Etats. Dans le prolongement de leur utilisation de telle ou telle dénomination, les acteurs en viennent donc
à désigner tantôt les Etats les plus pollueurs comme responsables, tantôt tous la communauté internationale. Enfin, la question de la dénomination influence les solutions qu’avancent les acteurs : mesures d’adaptations face aux risques climatiques, adaptation juridique, fonds internationaux…

 

Ainsi, on voit que les critiques du terme  “réfugiés climatiques” engendrent une controverse autour de la dénomination des personnes déplacées à cause du changement climatique. Cette controverse principale amène d’autres controverses liées à la quantification de ce phénomène, à la responsabilité invoquée et aux solutions avancées.  Il s’agit donc d’abord de partir du terme médiatique de “réfugiés climatiques” qui a permis de faire émerger cette réalité dans la sphère publique et de le déconstruire progressivement afin de comprendre plus précisément le phénomène qu’il désigne.

La chrono

Les premières occurences du termes "réfugiés climatiques"

Les premières occurrences du terme « réfugiés climatiques » apparaissent dans les années 1980, dans un contexte où les préoccupations écologiques gagnent du terrain dans l’agenda politique international. Le terme apparaît d’abord dans des rapports onusiens mais la couverture médiatique ne prend son essor qu’à partir des années 2000. Bien que les médias et militants environnementalistes restent les principaux vecteurs de la dissémination du terme, celui-ci fait toujours débat dans la sphère académique et politique. En effet, les mots comptent. Chaque terme a une connotation symbolique qui construit la conceptualisation même des déplacés du climat, des causes qui les poussent à migrer, des politiques de protections à leur accorder ainsi que l’identité de ces personnes. Nous nous intéresserons ici à la genèse et à l’histoire de la médiatisation des « réfugiés climatiques » pour comprendre ensuite la déconstruction progressive de ce terme.

1970-1980

1970 — 1980

Les années 1970 et 1980 sont marquées par une montée en puissance de la préoccupation écologique au niveau international (Conférence des Nations Unies
sur l’Environnement à Stockholm en 1972, Rapport Brundtland sur le développement durable…). C’est dans ce contexte de prise de conscience de la dégradation de l’environnement qu’apparaissent les textes phares sur les « réfugiés climatiques » faisant
le lien entre migration et dégradation environnementale.  En 1974, Lester Brown, qui fonde l’ONG World Watch Institute à Washington, publie un rapport sur les liens entre migrations internes et internationales avec des problèmes environnementaux tels que la déforestation, l’avancée du désert et l’épuisement des sols. Il utilise alors le terme de “réfugiés écologiques” pour désigner les populations, notamment d’Asie et d’Afrique, contraintes de migrer à cause de la surexploitation de leur terre. Cette définition attribue aux personnes déplacées la responsabilité de leur situation, car leurs pratiques sont décrites comme la cause des dégradations environnementales qui les poussent à migrer.


Mais c’est en 1985, lorsque le professeur El-Hinnawi  publie  Environmental Refugees pour le  Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), que le terme prend une nouvelle ampleur dans l’espace public. Sa définition s’affine par rapport à celle de Brown avec la description de trois types de «réfugiés environnementaux”. Il distingue en effet des facteurs soudains et des facteurs lents - un élément faisant débat dans la controverse - et désigne les “réfugiés” des deux premières catégories comme des victimes. Cinq ans plus tôt, les habitants de l’île de Lohachara dans le delta du Gange sont évacués à cause de son immersion imminente. Cet événement a pu contribué à cette requalification des
« réfugiés environnementaux » comme victimes, tout en démontrant l’urgence du problème des migrations environnementales. L’étude d’El-Hinnawi popularise le terme mais suscite aussi ses premières critiques : il lance en effet un débat entre les thèses maximalistes, qui voient un lien direct et unidirectionnel entre migration et dégradation environnementale et sonnent l’alarme face à l’urgence du problème, et les minimalistes, qui mettent en cause ce lien, signalent quant à eux la multi-causalité des migrations et rejettent le terme de “réfugié” par rapport à sa définition initiale dans la Convention de Genève de 1951. Les lectures maximalistes prolifèrent à la fin des années 1980
(Jacobson, 1988, Tolba, 1989).

1990

Les années 90

En 1990, le GIEC – qui deux ans plus tôt avait établi un lien entre émission de gaz à effets de serre et réchauffement climatique – déclare que le changement climatique pourrait avoir un effet sur les migrations et estime que d’ici 2050, 150 millions de personnes risquent d’être déplacées à cause de phénomènes liés au changement climatique. Ce troisième texte de référence solidifie les propos du camp maximaliste, donnant naissance à des discours sécuritaires liant migrations environnementales et conflits (Homer-Dixon, 1991).

 

La prolifération des rapports d’experts et d’études universitaires amènent également quelques prises de positions politiques. En 1990, l’Alliance of Small Island States (AOSIS) est créée pour donner plus de poids aux pays directement touchés par la question du changement climatique et des migrations dans les négociations internationales. La problématique des réfugiés climatiques apparaît aussi dans la préparation pour le Sommet de la Terre à Rio. Notons que le terme de « réfugiés climatiques » n’est pas utilisé par les instances politiques internationales afin d’éviter d’aborder la question de la causalité directe ainsi que celle du statut des populations qui bougent. Cependant, la montée en puissance des ONG environnementalistes depuis la Conférence de Stockholm a contribué à répandre le terme de « réfugiés climatiques».  Bien qu’elles n’aient pas nécessairement le dernier mot sur les décisions politiques, les ONG ont développé un savoir-faire pour alerter sur l’urgence d’agir face aux catastrophes environnementales. En mêlant ce savoir-faire historique à la mobilisation du registre humanitaire, de nombreuses ONG (Christian Aid, 2006 ; Friends of the Earth, 2007 ; Collectif Argos, 2004) se sont portées comme des lanceurs d’alertes sur la question des « réfugiés climatiques » par leurs publications ou en faisant événement. Le Collectif Argos a par exemple fait événement au Sommet de Copenhague avec un projet documentaire photographique sur les premiers « réfugiés climatiques ».

2000

Les années 2000

Si la prolifération du terme « réfugiés climatiques » commence dans les années 1980 dans les cercles académiques et onusiens, la couverture médiatique de ce phénomène reste cependant faible. En effet, une analyse quantitative de l’apparition du terme dans la presse internationale (titre et corps des articles) réalisée grâce à la base de données Factiva nous a permis de distinguer les grandes vagues de médiatisation du terme.  Il semblerait que le premier article de presse traitant du sujet et utilisant ce terme soit « Environmental Refugees », un éditorial écrit par Jodi Jacobson pour le quotidien régional américain Saint Louis Dispatch en décembre 1988. La couverture du thème n’augmente vraiment que dans les années 2000. On peut notamment distinguer deux pics de médiatisation de la problématique : pendant les périodes 2005 (471 résultats) - 2012 (368) et 2015 (600)- 2017 (1 291). La vague de médiatisation est notamment liée à l’accélération du nombre de désastres naturels majeurs provoquant des migrations, comme l’ouragan Katrina, et les cyclones au Bangladesh en 2005 menant à l’engloutissement de quartiers entiers. En décembre de cette même année, les habitations du village de Lataw situé dans l’archipel du Vanuatu sont déplacées de plusieurs mètres à cause de la montée des eaux. L’article « L’Atlantide du Pacifique : Premiers réfugiés climatiques » du Guardian, en Novembre 2005, est souvent cité comme la source de la prolifération médiatique de cette dénomination.

 

La deuxième vague de médiatisation est aussi liée à la multiplication du nombre
de désastres naturels majeurs, mais semble surtout dominée par la question de la responsabilité internationale et l’action des conférences internationales sur le climat. Selon Raoul Kaenzig, professeur à l’Institut géographique de l’Université de Neuchâtel, le traitement médiatique des « réfugiés climatiques » se base notamment sur des études de cas, avec une surreprésentation de certaines régions, comme par exemple les îles du Pacifique, menacées de disparaître sous l’eau. le traitement médiatique relaie aussi les estimations “alarmistes” de rapports internationaux sur
la quantification des ces migrants. Les victimes de désastres naturels majeurs permettraient d’incarner, de dramatiser, et de donner un visage humain aux effets abstraits du réchauffement climatiques. Si cette représentation des réfugiés-victimes du climat occulte, selon Kaenzig, les capacités locales d’adaptation, elle permet toutefois de sensibiliser le public pour une double protection urgente : celle de l’environnement et des populations déplacées.

 

Cependant, c’est aussi pendant la première période de médiatisation que l’étiquette de «réfugiés climatiques» commence à être contestée dans la sphère médiatique.
Un cas représentatif de cette contestation est le refus des personnes déplacées par l’ouragan Katrina d’accepter la labellisation médiatique de « réfugiés de Katrina », préférant « évacués » ou « survivants » qui porteraient une connotation moins victimisante. Or, d’importants groupes médiatiques comme CNN, le New York Times et l’Associated Press n’ont pas cessé cette utilisation.  En parallèle de cette explosion médiatique et critique identitaire, de nombreux experts, notamment François Gemenne en France, ont utilisé les plateformes médiatiques pour montrer les limites du concept.

 

La mise à l’agenda du problème des «réfugiés climatiques» est donc progressivement passée de l’arène académique, où le terme a fait débat dès les années quatre-vingt-dix, à l’arène médiatique où le terme reste dominant malgré de nombreuses critiques. Cette double mobilisation a certes fait émerger la figure  des “réfugiés climatiques” mais la question de la définition de ces derniers, du statut qui doit leur être attribué
et des mesures de protection à mettre en place font toujours débat.

2005
471
2012
368
2015
600
2017
Les occurences "réfugiés climatiques" dans la presse.
1291
Chrono 2000

Notre enquête :

Les transformations des disciplines liées aux « réfugiés climatiques »

Nous avons pu constituer cette chronologie grâce à un travail documentaire extensif qui nous a permis non seulement d’identifier les moments clés dans notre controverse mais aussi de comprendre que celle-ci fait intervenir une multitude
disciplines. L’étude des « réfugiés climatiques » est met en cause et en question différentes connaissances spécialisées telles que les sciences de l’environnement, les études migratoires, les études des réfugiés ou encore le droit et l’humanitaire. Nous avons voulu souligner ce caractère multidisciplinaire en réalisant des entretiens avec des experts issus de ces disciplines dominantes. Nous avons ainsi pu échangé avec Christel Cournil et Michel Prieur, experts en droit de l’environnement, Marine Frank, experte en droit international, représentant le HCR, Dina Ionesco, cheffe de la division « Migration, environnement et changement climatique » à l’OIM, la réalisatrice écologiste Gilliane le Gallic et Walter Kaelin, expert des droits de l’Homme et envoyé de la Présidence de la Platform on Disaster Displacement.

En analysant la chronologie et les positions de nos acteurs, nous nous sommes aussi penchés sur comment l’essor de l’étude des migrations environnementales a transformé les disciplines qui lui sont liées.

La réapparition

du facteur environnemental dans les études migratoires :

un changement

de paradigme

Les premières études sur les « réfugiés climatiques » ont transformé les études migratoires en faisant réapparaitre le facteur environnemental.
En effet, selon Etienne Piguet, l’inclusion des facteurs environnementaux dans les études migratoires a évolué tout au long du 20e siècle en suivant les différentes conceptualisations de la géographie et de la migration. Si la cause environnementale est présente depuis les années 1880 quand les géographes systématisent les causes de la migration, la question de l’environnement s’éclipse progressivement en entrant dans le 20e siècle. La conception naturaliste du 19e siècle est remplacée par deux nouveaux paradigmes : l’économie et le comportementalisme. On donne alors place aux modèles néoclassiques et néo-marxistes qui insistent sur les facteurs économiques des déplacements humains. Dans ces théories, le climat ne disparaît pas en tant que facteur migratoire mais il est subordonné à des motivations économiques (salaires, rareté des ressources, productivité…). Par ailleurs, dans les années 1960 se développe un courant de géographie comportementale qui donne
un nouveau sens large au terme « environnement », englobant dès lors des conditions économiques, politiques et sociales plus que des conditions climatiques. La migration environnementale serait dans ce nouveau cadre aussi perçue comme
« primitive », dans le sens où le progrès technologique devrait diminuer l’impact de
la nature sur le destin humain. Enfin, il faut également noter le développement d’études spécialisées sur la question des réfugiés qui, en raison de la définition politique donnée dans la Convention de Genève, exclut l’environnement.
Les études migratoires sont à nouveau bouleversées avec le rapport Environmental Refugees du PNUE et les rapport de Jacobson du GIEC de 1990 qui établissent
un lien direct entre déplacement et dégradation environnementale. Un nouveau changement de paradigme a donc lieu à partir des années 1980 en faisant reparaître de manière très controversée les facteurs environnementaux et climatiques dans les études migratoires.

Or, ce nouveau paradigme est loin de faire l’unanimité. Un débat entre deux champs disciplinaires et méthodologiques apparaît peu après la publication des rapports
de l’UNEP et Jacobson. Bien que ces publications aient lancé un débat public sur les déplacés environnementaux, la validité de leurs arguments a rapidement été remise en cause par des experts des migrations et des réfugiés comme Kibreab en 1991, Suhrke en1993 et Black en 2001. Non seulement le terme « réfugiés » a été refusé pour son invalidité juridique, mais leurs définitions ont de plus été jugées peu précises et les liens de causalité trop généraux.
Ce n’est donc pas l’existence de ces déplacements qui est contestée mais la validité des justifications. Les experts environnementalistes soutenant les arguments de
El-Hinnawi et Jacobson ont également été accusés d’instrumentaliser les migrations forcées pour agir contre le réchauffement climatique.

Ces deux camps peuvent être définis comme opposant les « maximalistes » aux
« minimalistes » (Suhrke, 1993) . Le débat entre maximalistes et minimalistes est encore central dans notre controverse. Les maximalistes établissent un lien causal, unidirectionnel, et déterministe entre les changements environnementaux et les déplacements alors que les minimalistes classent le facteur environnemental comme un facteur parmi d’autres. Il est intéressant de voir que derrière ces deux perspectives on retrouve des disciplines spécifiques. Les environnementalistes
(mais aussi les ONG) tendent vers le camp maximaliste ainsi que les experts de la sécurité et de la géopolitique. Ce type d’étude est caractérisé par un alarmisme (Piguet, 2010 et Gemenne, 2011) utilisant le champ lexical des torrents, des marées, des vagues et des inondations (Gill, 2010) pour décrire une catastrophe considérée comme imminente. Dans ce même camp, reprenant des arguments néo-malthusiens, des experts en géopolitique lient les dégradations environnementales à l’insécurité, et à la possibilité de conflits non seulement à cause de la compétition pour des ressources menacées par le changement climatique mais aussi à cause des migrations elles-mêmes.
Pour les minimalistes, où l’on retrouve une majorité d’experts de la migration, le concept des « réfugiés environnementaux », dépolitise la migration forcée et peut permettre aux Etats d’échapper à leurs obligations envers les demandeurs d'asile sans que le concept ne repose sur des données empiriques le justifiant.
Enfin, ces deux perspectives se fondent sur des outils méthodologiques différents. D’un côté les maximalistes ont surtout recours à des estimations futures, avec des arguments se focalisant sur la dégradation de l’environnement en général, et de l’autre les minimalistes utilisent des études de cas plus empiriques aux niveaux local et national (interviews, questionnaires…).

La division entre maximalistes

et minimalistes :

un clivage disciplinaire et méthodologique

Le droit : vers l’inclusion des droits de l’Homme dans le droit climatique

Au fil de notre recherche, nous avons compris que la question de la protection des personnes déplacées par le climat allait bien au-delà de la question de la création d’un statut juridique. La prévention, protection, assistance et réinstallation des personnes déplacées par le climat pose un enjeu juridique convoquant plusieurs branches du droit comme des droits de l’Homme, des réfugiés, des déplacés internes, de l’environnement et le droit international humanitaire. Ces personnes font le lien entre la sphère des droits de l’Homme et celle du droit du climat, des sphères qui se recoupent et interagissent en entraînant leur redéfinition.
Le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies s’est déclaré à plusieurs reprises « préoccupé par le fait que les changements climatiques fassent peser une menace immédiate et de grande ampleur sur les populations et les communautés
de par le monde et aient des répercussions néfastes sur la jouissance effective des droits de l’Homme » (Cournil, 2014). En 2012, le rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’Homme et des migrants, François Crépau, remet un rapport aux Nations Unies qui montre que les droits de l’Homme offrent des réponses générales qui s’appliquent aux migrants environnementaux. Ces initiatives ne sont que quelques exemples montrant la tendance de l’ONU à replacer les droits fondamentaux dans le droit climatique à travers la problématique des déplacements climatiques.
Mais ces défis ont également offert des terrains de réflexion pour la communauté académique où l’on remarque aussi une convergence pluridisciplinaire. Alors que la recherche juridique s’est d’abord focalisée sur la définition des termes, puis sur des pistes concrètes de protection, de plus en plus d’études, comme Towards a global governance system to protect climate refugees (2007) de Biermann et Boas, se focalisent sur la dimension humaine du réchauffement climatique et la nécessité d’inclure les droits fondamentaux dans les négociations pour le climat.

Enquête
Les entretiens

Les entretiens

avec des acteurs majeurs de cette controverse

Michel
Prieur

Catherine Wihtol

de Wanden

Walter Kaelin

Michel Prieur

Christel Cournil

Christel Cournil

Marine Franck

Gilliane Le Gallic

carte

Visualiser

les désatres

et les désastrés

Nous utilisons l’outil mapmaker du National Geographic, qui permet l’agrégation des données géographiques possédées par cet institut. Nous avons choisi de nous intéresser aux déplacés internes, à l’origine des réfugiés et à celle des demandeurs d’asile, afin d’observer les possibles complémentarités entre ceux dont les déplacements sont parfois attribués à l’environnement ou au climat et ces différents statuts. Pour éprouver la vulnérabilité des zones concernées et les motivations des déplacements, nous nous sommes également intéressés aux données économiques sur le PIB et la famine. Enfin la formule « pollueur-payeur » de l’OCDE en 1972 nous a suggéré une responsabilité potentielle des pays émettant le plus de CO2. Nous les avons donc inclus sur cette carte. Nous y rajoutons nos données, obtenues auprès des experts universitaires, des institutions et des ONG liées à la question des déplacements, de l’environnement et des changements climatiques. Ces rajouts nous permettent la visualisation de liens potentiels entre les événements marquant la chronologie du débat : une source de questions lors de nos interviews avec les experts.

Nous avons cherché à visualiser l’objet d’étude des acteurs impliqués dans notre controverse. Ce travail est à l’origine de la carte ci-dessus. Elle nous apprend plusieurs choses : les causes de mouvements observées sont parfois multiples et ne correspondent pas toujours à un seul facteur environnemental ou climatique. Chaque espace touché par un changement climatique ou une crise environnementale n’est pas médiatisé de la même manière et concerne des populations extrêmement différentes. Ainsi, la question de la responsabilité se pose selon les autorités compétentes localisées. Ces premières réflexions sont à l’origine de la catégorisation de notre site.

La réponse à cette question s’appuie sur les travaux géopolitiques de François Gemenne et du géographe Philippe Rekacewicz qui identifient des zones de départ pour des raisons environnementales. L’Europe ne compte aucune de ces zones.
L’Est est assez touché, que ce soit en Asie centrale, en Chine, en Inde ou au niveau des îles du Pacifique. On note également une zone importante au niveau de l’espace sahélien en Afrique. Les Amériques ne sont pas en reste car on constate des déplacements depuis l’Amazonie, le Mexique et l’Alaska.

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Le lien entre déplacements, environnement et changements climatiques est-il évident ? Nous avons confronté ces zones de départ aux données sur les risques de catastrophes naturelles. Une complémentarité nette se distingue en Afrique, en Inde, dans le Pacifique et en Amérique centrale. Les zones correspondent aux espaces exposés à la sécheresse dans la zones sahélienne et aux risques hydrologiques pour les deux autres régions. La complémentarité est moins évidente ailleurs, quoique la Chine orientale soit touchée par de nombreuses catastrophes hydrologiques. Il faudra néanmoins nuancer ces données, car certaines sources du National Geographic datent de 2005 et manquent peut-être de pertinence en comparaison
à la situation naturelle.

 

Cette comparaison nous apprend deux choses : si nous retenons la cause environnementale ou climatique pour un déplacement, elle ne s’assimile pas forcément à une catastrophe naturelle. Il y aurait donc des processus environnementaux autres qui agiraient en facteur de migrations. D’autre part, des climats différents pourraient causer des déplacements : un climat aride et sec comme un climat humide.

 

Aussi, notre complémentarité entre déplacés et catastrophes naturelles n’est pas une preuve suffisante. Nous pouvons de plus éprouver le lien entre migrations, environnement et climat en utilisant des données correspondant à d’autres facteurs de déplacement. L’Afrique, l’Asie centrale et les îles Pacifiques ont par exemple un PIB assez faible, ce qui pourrait laisser envisager des motivations de déplacement socio-économiques.

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Même si, comme nous l’avons vu, les potentielles causes environnementales ou climatiques de déplacements pourraient être multiples, elles ne sont pas abordées de la même façon. Notre chronologie témoigne tout d’abord de l’importance donnée aux victimes des processus liés à l’hydrologie, en particulier dans l’océan Pacifique soumis à l’évolution sur temps long de la montée des eaux plus qu’aux catastrophes naturelles instantanées. Faut-il associer cet intérêt à l’insularité de ces espaces ?
Où à leur surreprésentation dans cette région ?

 

La réalisation de la carte a posé la difficulté du choix des figurés pour représenter
les victimes des aléas environnementaux et climatiques. En effet, la médiatisation des différents espaces touchés met l’accent sur des facteurs différents. Si la montée des eaux est souvent citée, l’accident industriel peut aussi s’inscrire dans une définition large de l’environnement selon Steve Lonergan. Cette pluralité de facteurs pose la question de ce qui fait le risque environnemental ou climatique : la taille de la population ? Sa vulnérabilité ? L’empreinte humaine sur le territoire ? La difficulté
à définir le risque pourrait expliquer la difficulté à définir le statut de déplacés.

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Si l’expression « réfugiés climatiques » ou « réfugiés environnementaux » pour évoquer les déplacés se rencontre, se justifie-t-elle ? Nous avons cherché à savoir
si ces notions pouvaient parfois se confondre avec les réfugiés au sens de la Convention de Genève de 1951. On remarque qu’à l’exception de la zone Pacifique, chaque zone départ de supposés déplacés environnementaux ou climatique est liée à l’origine d’au moins 1000 réfugiés politiques au sens de Genève (chiffres datant de 2006 à 2010). La complémentarité en Inde est remarquable. Ce constat n’est pas en faveur de l’idée selon laquelle il existe des déplacements dont la seule motivation est

climatique ou environnementale. Les mêmes observations peuvent se faire dans le cadre des demandeurs d’asile avec une forte complémentarité en Chine et en Amérique centrale. La carte ne démêle donc pas le flou juridique de la notion de
« réfugiés climatique/environnemental » ou de « demandeur d’asile climatique/ environnemental ».

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Les informations transmises par la cartes sont surprenantes, car en contradiction avec la littérature sur le sujet. Les zones mentionnées par Gemenne et Rekacewicz ne correspondent pas aux espaces marqués par des déplacements internes. Or, ces déplacements internes existent puisque les populations indiennes de Bhola ont été déplacées en Inde, de même que les Tuvaliens se déplacent sur l’île en fonction de
la montée des marées.

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Plusieurs hypothèses :

      — les données du National Geographic sur cette carte ne sont pas assez récentes

      — les données sur ces types de déplacements et dans les régions concernées ne            sont pas facile à obtenir

      —  il y a un désaccord sur les données, qu’il faudrait expliquer

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Dans le cas des déplacés ayant quitté leur pays, la question de l’accueil et de la responsabilité de cette accueil se pose. Par curiosité, nous avons voulu appliquer la logique du « pollueur payeur » et observer quels Etats devraient assister en particulier des personnes qui auraient migré pour des raisons d’un changement climatique en grande partie causé par les émissions de gaz à effet de serre. Selon cette logique, les Etats-Unis devraient jouer ce rôle aux Amériques, les Emirats Arabes Unis, l’Oman et l’Arabie Saoudite en Afrique, la Chine en Asie et l’Australie dans le Pacifique. La logique du « pollueur payeur » peut-elle s’inscrire dans la dynamique de coopération internationale concernant le sujet de notre étude, préconisée par des acteurs comme l’ONU ?

D'où se

déplace-t-on ? 

Une considération égale des déplacés

Comment qualifier les déplacés ?

Quelle prise

en charge ?

noeuds

Réfugiés climatiques :

de nombreuses controverses qui

se polarisent autour de la question de

la dénomination

Au fil de nos recherches, nous avons constaté que les acteurs de la controverse abordent des thèmes similaires mais y ont des positions bien différentes. Nous en avons dénombré six : la dénomination du phénomène ; les causes de la migration ;
la quantification du nombre de déplacés ; la responsabilité invoquée ; la question de la création d’un droit spécifique ; les autres solutions proposées.

Sur un même thème, les positions des acteurs divergent. Par exemple, par rapport
à la solution défendue par certains acteurs de créer un droit spécifique pour ce nouveau type de déplacés, les positions se déclinent autour d’un droit qui prendrait en compte les apatrides, les déplacés internes, qui contiendrait un droit d’asile,
ou qui ne relève d’aucune dénomination.

 

Ainsi, la controverse autour des “réfugiés climatiques” ne concerne pas que l’inscription de la notion de « réfugié climatique » dans le droit international et de
ses modalités. La dénomination de ces personnes dont le déplacement est lié au changement climatique n’est donc qu’une controverse parmi d’autres tout autant débattues publiquement.. Dans cet écosystème de problématiques, l’enjeu commun s’avère être aussi large qu’il est sujet à interprétation : que faire face aux déplacements de populations liés aux changements environnementaux ? Notion
par notion, arène par arène et acteur par acteur, les positionnements sont tantôt divergents, tantôt similaires.

 

Par cette enquête, nous  avons donc cherché à identifier le positionnement de chacun des acteurs sur la question des déplacés, en les répertoriant selon six grandes “catégories” que nous avions identifiés dans une base de données.
Ce travail nous a permis de mieux appréhender les relations existant entre ces différents enjeux.

 

Les enjeux évoqués et les positions qui s’y attachent ne sont pas hermétiques
entre eux. Au contraire, il semble y avoir une corrélation directe entre certains positionnements sur des thèmes différents. Ainsi, certaines dénominations, telles
que celles de “réfugié climatique” ou “réfugié environnemental” supposent très clairement la revendication d’un statut particulier pour les personnes concernées,
et donc la nécessité de la création d’un droit spécifique ou de l’élargissement de la définition de la Convention de Genève. Inversement, les acteurs qui se prononcent à l’encontre d’une telle dénomination invoquent pour principal argument l’absence de droit spécifique et/ou l’impossibilité de faire entrer cette catégorie de déplacés au sein du droit international pour des raisons de manque de clarté, de non-causalité des déplacements avec les changements environnementaux, des probables récalcitrances des États, etc…

 

Dans le même raisonnement, les partisans de la création d’un statut de “réfugié”
pour les déplacés environnementaux ont ainsi tendance à considérer un traitement du problème à une échelle globale. Une architecture institutionnelle avec une instance dirigeante compétente à caractère international est aussi induite dans un tel traitement de la question. C’est le cas d’ONGs militant pour la création d’un tel statut, comme le Collectif Argos par exemple. Le tableau que nous avons réalisé nous a aussi permis de réaliser que peu d’universitaires et de chercheurs se prononcent en faveur de la création d’un statut de “réfugié” pour les déplacés environnementaux,
à l’exception de Eike Albrecht à la tête du département de droit de la Brandenburg University of Technology Cottbus et des universitaires participant aux Conventions
de Columbia et Limoges.

 

A contrario, les acteurs utilisant des appellations se voulant plus descriptives, telles que “déplacés environnementaux”, “migrants climatiques” ou “migrants environnementaux” et leurs différentes déclinaisons, semblent généralement rejeter l’option de la création d’un statut spécifique. Elle optent davantage pour des solutions d’adaptation ou de coopération internationale, mais la plupart du temps régionale ou sous forme d’accords juridiques bilatéraux. Ainsi, l’OIM, la Banque mondiale, l’AOSIS ou encore l’universitaire François Gemenne trouvent moins pertinente la création d’un statut spécifique par rapport à la mise en oeuvre de mécanismes à plus petite échelle qui seraient plus aisés à mettre en place.

​

shéma
nous

Comme nous venons de le voir, notre travail d’enquête nous a permis de faire apparaître les six principaux thèmes liés aux “réfugiés climatiques”, sur lesquels les acteurs adoptent des positions différentes :

 

        — La dénomination de ces personnes

        — Les causes qui les poussent à se déplacer

        — La quantification actuelle et future de ces déplacés

        — La responsabilité invoquée

        — La question de la création d’un droit spécifique dédié à cette nouvelle           

            catégorie de déplacés

        — Les autres solutions proposées

 

Nous considérons que quatre controverses sous-tendent ces thèmes :

 

        — De qui parle-t-on ?

​        — Combien de personnes sont concernées ?

        — Qui est responsable de ces personnes ?

        — Quelles sont les solutions envisagées ?

 

Afin de cartographier au mieux les réponses divergentes des acteurs par rapport à ces questions,
nous avons conçu une navigation suivant quatre îlots :

 

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